Des études récentes montrent que les dépassements d’honoraires fournissent plus du tiers des revenus des médecins les plus riches. Les 1% des médecins libéraux aux plus hauts revenus touchent 32.000 euros par mois au seul titre des dépassements, en plus de leurs 42.000 euros par mois au titre des honoraires au tarif Sécu…
On sait également que certains praticiens hospitaliers touchent jusqu’à 50.000 euros par mois grâce leurs consultations privées données au sein de l’hôpital public.
Or, aux récentes négociations sur l’encadrement des dépassements on a glissé de manière habile à une discussion sur la revalorisation nécessaire des honoraires d’une majorité de médecins insuffisamment reconnus, voire en voie de paupérisation.
Pour clarifier le débat quelques données statistiques s’imposent.
97% des Français sont payés moins que les médecins libéraux. En 2008, les médecins spécialistes libéraux ont déclaré en moyenne environ 10.100 euros par mois de revenus à l’administration fiscale ; les médecins généralistes libéraux, environ 6.400 euros par mois.
Comparons. Dans la population active française, le revenu fiscal médian des ménages s’élevait au même moment à environ 1.700 euros par mois (50% des personnes déclaraient moins que ce niveau, 50% des personnes déclaraient plus). Au final, le niveau moyen des revenus des généralistes libéraux les situe parmi les 3% les plus riches de nos concitoyens ; celui des spécialistes libéraux parmi les 2% les plus riches.
On peut remarquer également que l’attractivité des rémunérations est devenue un argument explicite dans le choix des spécialités d’internat ou des modes d’exercice. Sur les forums Internet de carabins, on n’a plus honte à dire qu’on cherche à gagner beaucoup d’argent.
Quelques années plus tard, ces mêmes étudiants livreront un serment solennel lors de la soutenance de leur thèse de doctorat : «Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me le demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire…»
Mettons tout ça en face d’une enquête de l’institut CSA, qui indique qu’un Français sur cinq renonce très fréquemment à se soigner. C’est en majorité par manque d’argent. Dans 41% des cas, ils jugent que le remboursement est insuffisant et, dans 18%, ils renoncent parce qu’il n’y a pas de prise en charge. Cette enquête montre que les plus exposés sont les jeunes, les chômeurs et les assurés sociaux sans mutuelle. Ces catégories se plaignent surtout des déremboursements des médicaments, des franchises médicales et des dépassements d’honoraires. En 2011, les montants facturés au-delà du barème de la Sécurité sociale, c’est 2,4 milliards.
Dans une autre enquête publiée par Médecins du monde en 2006, il apparaissait déjà, que les refus de donner rendez-vous à des personnes d’origine étrangère qui bénéficient de l’aide médicale d’Etat (AME) avaient atteint un niveau inquiétant. Aujourd’hui plus personne ne parle de cette situation. On parle de la mise en place d’un «contrat de soin» pour permettre de minimiser les dépassements pour les plus démunis, mais rien de formel pour éviter que ne perdure la discrimination dont sont victimes les bénéficiaires de la CMU et de l’AME.
Le jour où un gouvernement aura le courage d’encadrer strictement les honoraires des médecins, au nom de la santé publique et de la maîtrise des comptes de l’assurance maladie, certains de ces étudiants qui raisonnent en «kilo-euros» donneront peut-être la préférence aux métiers de la finance ou du pétrole.
Cela créera un appel d’air pour des candidats issus de milieux mois favorisés pour lesquels un revenu «normal» se situera plus à un niveau plus proche du revenu médian de la population générale; et plus généralement à des candidats motivés non tant par l’appât du gain que par le sens d’une mission au service d’autrui.
Auguste Bechler